C & F Éditions

C'est compliqué

Les vies numériques des adolescents

danah boyd

couverture
13,5 x 20 cm. - 432 p.
Collection Les enfants du numérique
 

Commander

Version imprimée
27 €
ISBN 978-2-915825-58-9

juin 2016
 
Version epub
9 €
ISBN 978-2-37662-030-3
 
 

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Articles

Quelques articles de danah boyd traduits pour C & F éditions

 

Ce que nous dit un nom

À ma naissance, je m'appelais « Danah Michele Mattas ». Ma mère avait ajouté le « h » parce que cela créait un équilibre qu'elle aimait - effectivement danah est bien équilibré. Ma mère s'étant remariée quand j'étais jeune, j'ai ajouté « Beard » à la fin de mon nom, si bien que mon nom officiel au collège était « Danah Michele Mattas Beard ». Au lycée, après le divorce de ma mère d'avec mon beau-père, j'ai commencé mon changement de nom en adoptant celui de mon grand-père maternel « Boyd ». Pour moi, ce nom représentait ma famille, ma culture, mon patrimoine ; c'était une marque de respect.

couverture du livre C est compliqué

 
 

Saviez-vous que vouloir changer votre nom sans vous marier n'est pas vraiment du goût de l'administration ? En tout cas, cela m'a pris des années, mais à l'été 2000, j'ai finalement pu obtenir ce papier officiel qui m'accordait le nom de « danah michele boyd »

Non, je n'avais pas oublié d'y mettre les majuscules, et j'ai très vite compris que la plupart des gens n'apprécient pas ce retrait intentionnel des majuscules dans mon nom. J'ai cependant de nombreuses raisons de m'être débarrassée des majuscules lors de ce changement de nom, certaines personnelles, d'autres politiques.

Tout d'abord, il y eut ce désir maternel de me donner un nom équilibré, et ce que j'en pensais devenue adulte (comme enfant, j'étais juste ennuyée de ne jamais rien trouver qui soit appelé comme moi). danah est équilibré ; Danah ne l'est pas. De fait, mon nom entier est équilibré dans son ensemble : danah michele mattas beard boyd. C'est assez élégant non ?

Il y a également des motifs politiques. J'ai toujours été étonnée par le fait qu'en anglais, le pronom « I », qui représente la première personne du singulier, soit écrit en majuscule - j'ai toujours trouvé ça hypocrite. Or, comme le faisait remarquer Douglas Adams, « Les majuscules ont toujours été le meilleur moyen de représenter ce pourquoi nous n'avons pas de bonnes réponses ». Depuis que je suis enfant, on m'a expliqué que le monde ne tournait pas autour de moi, et pourtant notre écriture nous dit quelque chose de totalement différent. Pourquoi ne pas mettre des majuscules à « Nous » ou à « Eux » ? (Oui, j'aime bien agiter le chiffon rouge).

J'ai alors recherché l'origine de cette majuscule, et j'ai été très étonnée de comprendre que « I » avait toujours été en majuscule parce qu'il apparaissait toujours comme le premier mot d'une phrase, et jamais au coeur. Ensuite, quand on a commencé à l'écrire au milieu des phrases, on a conservé la majuscule malgré les conventions parce que les gens avaient peur qu'autrement il se perdre dans le texte. Bien sûr, comme dit le journaliste Sydney J. Harris, « il est étrange, et légèrement troublant de réfléchir au fait que parmi les langues principales, seul l'anglais met le « I » en majuscule ; dans de nombreux autres langues, « Vous » présente une capitale, et « je » est en minuscules ».

Bon, nous sommes maintenant à l'ére du numérique, et l'ordinateur place correctement les espace autour du « i » pour le rendre visible, j'ai donc renoncé à utiliser cette marque d'importance - après tout, cela se réfère à moi-même non ? J'ai pensé que toute tentative pour minimiser l'individualisme pouvait commencer sur le pas de ma porte.

Mais cela m'a conduit à pousser plus loin : qu'est-ce qu'il y a dans un nom ? Quelle est sa valeur ? Est-elle si grande qu'il faudrait lui mettre des majuscules ? En chemin, je me suis mis à concevoir les noms comme des descripteurs plutôt que des entités séparées. Un nom ne serait-il pas simplement un autre qualificatif unique pour dire moi ? Une marque ? Je ne suis pas dans mon nom ; mon nom n'est qu'un descripteur qui me désigne. Dois-je lui accorder plus d'importance qu'aux autres qualificatifs utilisés pour me désigner ? Bien sûr, mon nom a beaucoup d'importance pour moi - j'ai du faire des efforts pour le changer si souvent qu'il ne peut pas en être autrement. Mais est-ce que mettre des majuscules représente vraiment cette importance ?

Et c'est vraiment de ça qu'il est question - c'est mon nom, et je dois pouvoir l'écrire comme j'estime qu'il me représente le mieux ; c'est mon qualificatif, pas celui de quelqu'un d'autre. Pourquoi devrais-je suivre le code typographique du New York Times pour l'écrire ? Les mots que j'ai choisis pour me décrire devraient être présentés à l'écrit et à l'oral de telle manière que je puisse penser que je les possède vraiment, et ainsi me sentir réellement représentée. Cela ne veut pas dire que je veux un symbole unique pour mon nom, plus simplement je veux l'écrire d'une manière qui fasse honneur au choix de ma mère. En grandissant, j'ai fini par ressentir profondément le lien entre mon nom et ma personne. Je n'aime pas du tout quand les gens oublient le « h » ou mettent des majuscules à mon nom. Ce n'est pas de cette manière que j'ai choisi d'être identifiée.

Avec toutes ces réflexions en tête, j'ai signé les documents portant mon changement de nom en indiquant la façon par laquelle je voulais être désignée, avec un choix esthétique portant sur son écriture, et avec un style singulier unique qui me permet de considérer pleinement que ce nom est le mien :

danah michele boyd