Le vision board : un outil pour le parcours avenir en collège

Le vision board (ou tableau de visualisation ou encore tableau de rêve) c’est un tableau d’affichage sur lequel on colle, écrit ou dessine. On peut utiliser des images inspirantes, des mots ou phrases, de dessins, des illustrations, des décorations, des schémas, des flèches, des émojis. Le but est de rendre visible ce que l’on aime, ce que l’on projette pour l’avenir, ce dont on rêve ou ce que l’on ambitionne de faire, d’être ou vivre, qui on aimerait être, dans quel environnement on souhaiterait vivre, partir en vacances, à court, moyen ou long terme. Un vision board peut concerner tous les pans de la vie professionnelle ou personnelle : famille, amis, centres d’intérêt, voyages, décoration, aspiration professionnelle etc. On voit souvent fleurir des vision boards sur les réseaux sociaux en janvier : ils représentent alors les intentions de l’année à venir. Ou encore en septembre après les vacances pour se projeter sur une nouvelle année professionnelle. Il est recommandé d’afficher ce tableau chez soi ou d’en faire un fond d’écran pour qu’il serve de guide, d’inspiration ou encore de motivation pour se donner les moyens de ses rêves et ambitions. L’objectif de l’exercice est que ces intentions de début d‘année ou de rentrée scolaire ne restent pas un idéal mais puissent se concrétiser.

vision board exemples

Cet exercice, je le connais depuis 10 ans, et je l’ai adapté pour les élèves de collège dans le cadre du parcours avenir.  Je l’ai ramené de Bruxelles où j'avais suivi une session de formation de coaching scolaire avec Gaëtan Gabriel dans le cadre d'un projet Leonardo Il m’avait alors été présenté comme une technique de visualisation créatrive.

Adapté à l’enseignement, ce procédé peut, de premier abord, apparaître comme insignifiante, comme un outil parmi d’autre de développement personnel ou encore simpliste. Pourtant, j’ai constaté après l’avoir proposé à plusieurs reprises en classe, que grâce à ce photocollage les élèves verbalisent ce que bien souvent ils ont du mal à mettre en mot. Lorsque je leur demande leurs goûts, leurs qualités ou leurs défauts, ou encore au grès des séances d’EMI la manière dont ils s’informent, ce qu’ils savent faire, quel est leur talent ils me répondent trop souvent « Je ne sais pas… ». Je combats contre ces « je ne sais pas », parce qu’ils reflètent en réalité un sentiment d’impuissance qui génère des frustrations voire des replis de facilité. Les solutions sont, au contraire, à construire à travers l’élaboration de leur rapport à eux-mêmes, au monde et leur vie de citoyen en lien avec d’autres. Cela peut se concrétiser par le fait de leur faire prendre conscience de leur pouvoir d’agir sur leur propre environnement. Comme nous l’avons explicité dans l’ouvrage A l’école du partage : les communs dans l’enseignement, la connaissance et la conscience qu’a un élève de lui-même l’aide à orienter ses choix, et à développer son esprit critique.

vision board Ecole du partage

Un tableau de visualisation : pour quels objectifs ?

Avant de rentrer dans la description des séances proposées, arrêtons-nous un instant sur ce qu’est la visualisation et quelles en sont les limites. 

La visualisation est une technique de développement personnel extrêmement puissante mais qui mal explorée peut très vite devenir limitante. Celui ou celle qui se lance dans l’exercice de la visualisation doit instaurer un temps dans son agenda pour lister, organiser, voire prioriser ses envies, ses goûts, ses objectifs ou ambitions.  Dit autrement, explorer, grâce à son imagination et sa pensée, ce que l’on souhaite pour le futur. La visualisation peut être menée ponctuellement, une fois par an, ou bien de manière plus régulière, quotidiennement sur des aspects plus spécifiques de sa vie.

La visualisation qu’elle soit écrite ou en image invite à retranscrire de manière claire les vagues idées que que l'on a parfois du mal à clarifier. Du coté des élèves, cela se manifeste par le fait qu’ils ont dans leur tête des idées qu’ils ont du mal à verbaliser par manque de vocabulaire notamment. 

L’idée est qu’en posant ces images, nous allons tout d’abord trier, clarifier voire simplifier ces idées, mais aussi mettre en place tout un tas d’actions. Nous allons aussi générer des dispositions facilitantes pour nous adapter à cette vie « visualisée » notamment parce que les opportunités qui se présentent viennent s’y inscrire et correspondre aux objectifs, rêves, ambitions ou aux expériences que l’on souhaite avoir. 

Revers de la médaille, celui qui a des objectifs clairs en tête peut orienter et investir son énergie dans des projets ou des expériences qui lui tiennent réellement à cœur et qui lui sont prioritaires, sans se disperser. Tout ceci repose sur ce que certains (voir par exemple l’ouvrage de Esther et Jerry Hick) appellent la loi de l’attraction. Génial non ?!

vision board (4)

Oui mais…attention ! Ce n’est pas aussi simple et aussi magique !

Ce mécanisme de la loi de l’attraction, n’est pas une notion scientifique et j’en prends ici mes distances. Il ne s’agit pas de tomber dans des excès en pensant qu’il suffit d’avoir à l’esprit de manière claire ce que l’on souhaite atteindre pour l’atteindre réellement par un quelconque miracle ou alignement de planètes.  Il serait trompeur de penser qu’il suffit de penser positivement et avec force à son avenir pour que cela fonctionne. A l’inverse, en cas d’échec ou d’objectif non atteint, il ne faut pas faire reposer toute la responsabilité sur la personne. Il s’agit bien évidement de prendre en compte également tout le contexte et toutes les prédispositions. Ce ne sont pas des pensées ou des imaginations magiques. Il faut dans cet exercice de visualisation tenir compte également des biais cognitifs notamment le biais de confirmation qui consiste à nous orienter vers tout ce qui va dans le sens de notre avis, à sélectionner les informations qui confirment à priori nos idées, nos opinions et nos croyances pour ici nos objectifs de vie. Cette loi de l’attraction peut induire un travers de taille : nous accrocher à des rêves et être prêt ou prête à tout pour y parvenir quitte à sombrer dans le mensonge, ou même la violence. Une autre limite serait de s’enfermer dans cette seule vision possible, y rester figé quitte à se couper d’expériences, d’apprentissages, de partages de vie spontanés.


Ces réserves étant posées, pourquoi la visualisation reste-t-elle un exercice proposé dans plusieurs milieux ? Pourquoi cet exercice est-il aussi largement utilisé et tend même à se développer ? Ma curiosité a été piquée à vif.

La visualisation est un outil utilisé par les sportifs de haut niveau avant une compétition pour mobiliser leurs ressources mentales au service de la victoire, par les thérapeutes pour faire émerger des objectifs à atteindre mais aussi les moyens pour y parvenir. C’est également un outil utilisé dans le cadre du développement personnel par exemple. (Une simple recherche sur un moteur de recherche permet de s'en rendre compte). Se voir en train de réussir peut générer des actions pour atteindre cette réussite : ce que je dois modifier, ce que je dois apprendre, ce que je dois faire. Cette exploration mène à identifier des craintes, des freins, des peurs et accéder ainsi plus rapidement et en conscience à ce à quoi on aspire. Les neurosciences nous ont appris que le cerveau active les mêmes zones du cerveau qu’on vive réellement une situation ou qu’on imagine la vivre. C’est pourquoi on demande aux sportifs de hauts niveaux, ou à certains professionnels de répéter mentalement inlassablement leur action ou épreuve à venir. On sait bien que ce n’est pas suffisant mais c’est intéressant de garder en tête que cela peut contribuer à l’action efficace et à des performances supérieures. 

vision board (3)

Pour ma part, je retiens ici un double bénéfice : 

  • avoir une idée claire qui déterminera le choix des actions à mener vers l’objectif en étant plus attentif à son environnement.
  • prendre du plaisir dans l’acte de décider. Je fais ici référence à l’ouvrage Joie militante : construire des luttes en prise avec leurs modes de Carla Bergman et Nick Montgomery qui expliquent que le militantisme joyeux est constitutif de la joie ressentie à agir suite à des décisions, des échanges décidés plutôt que imposés.

Ce travail de visualisation est un outil et sans doute ne faut-il pas lui donner d’autres prétention à ce stade de mon exploration : un outil aidant à la verbalisation et à l’action. Il ne doit pas devenir une croyance qui oriente nos vies. Il ne s’agit pas de rêver en grand dans l’espoir d’une vie meilleure. Rien ne garantit la réussite, l’atteinte des ambitions.

 Ainsi lorsqu’on pratique la visualisation, y compris à travers le vison board, il ne faut pas occulter les moyens et les obstacles avant d’atteindre ces objectifs ni même la possibilité de ne jamais atteindre pleinement les aspirations, et surtout ne pas se focaliser uniquement sur les réussites possibles.

Il s’agit ici d’identifier sur quoi devront porter les efforts, identifier ce qu’il reste à apprendre, à entreprendre pour ne pas se cloitrer dans une posture attentiste. Mais au contraire prendre des décisions, faire des choix, élaborer des stratégies, identifier les ressources pour y parvenir. C’est à cette seule condition que la visualisation se met au service du pouvoir d’action de l’individu. La croyance en une loi de l’attraction peut alors se transformer en prise de conscience que ce qui nous arrive est la conséquence de nos actions, de nos choix, de nos apprentissages et de nos propres efforts et de nos rencontres pour y arriver et nous incite dès lors à rester dans cette posture d’apprentissage et dans un état d’esprit de développement et joyeux.

Comment faire ? Comment l’utiliser ?

Dans le contexte du CDI, je propose une séquence reliée au parcours avenir. Je m’appuie sur l’exercice proposé par Gaétan Gabriel qui a proposé un atelier créatif autour du vison board.

Il s’agit de s’appuyer sur le visuel pour en faire autre chose et ouvrir les perspectives des élèves, y compris pour certains de conforter ou dépasser des injonctions familiales.

Étape 1 :

Cette étape préparatoire sert à organiser la séance et à préparer le matériel nécessaire. Il faut des magazines, des journaux, des prospectus (y compris publicitaires) en grand nombre et le plus variés possible en termes de graphisme, thématique. Il faut également des ciseaux, de la colle, une grande feuille A3 idéalement, un carnet ou un cahier si on choisit - comme je préfère - le faire en version papier. 

Pour les profs docs, pensez donc lors du désherbage à garder des échantillons des diverses revues avant de les mettre au pilon,  ou pensez à faire appel aux collègues ou encore aux médiathécaires environnantes.

Étape 2 :

On peut préparer l’espace du CDI pour le rendre agréable lors de la séance, préparer éventuellement des musiques. Lors d’une séance au cœur de l’hiver il m’est arrivé également de mettre un feu de cheminée en fond d’écran, mais ce peut aussi être une rivière ou des vagues rafraichissantes. Les élèves sont en général très sensibles à ces ambiances que ces images créent « il fait réellement plus chaud m’a dit l’une d’elle en se frottant les mains devant le feu de cheminée sur l’écran)

Pour ma part, je prévois de disposer le matériel sur le mange-debout afin que les élèves puissent changer de posture lorsqu’ils viennent choisir leur matériel et rester debout. Ils s’installent ensuite comme ils le souhaitent au sein du CDI : la consigne étant de prendre ses aises et d’avoir suffisamment d’espace autour de soi pour étaler ses affaires.

Étape 3 :

La consigne donnée aux élèves est volontairement très brève. Nous leur demandons de choisir dans le tas de documents mis à leur disposition les images qui correspondent à leur goût, à ce qu’ils aiment, mais aussi à des images qui les attirent, qu’ils trouvent belle esthétiquement ou qui leur font envie. Nous leur demandons aussi de choisir des mots, des phrases qui leur plaisent. Des images ou des mots qui les inspirent. Et c’est tout. Nous n’explicitons pas à ce stade les objectifs pour ne pas encore orienter ce qu’ils vont choisir de découper. Avec des classes de SEGPA cet exercice de découpage dure une séance entière.

vision board (6)

Il est extrêmement intéressant d’observer à ce stade les élèves. Il y a ceux ou celles qui ont la frénésie du ciseau et découpent à tout va. Ceux et celles qui tournent les pages sans même regarder et ne trouvent « rien », ceux et celles qui n’explorent que le coté bas à droite des pages (nous nous sommes après coup rendu compte que l’exercice est extrêmement fatiguant pour cette élève qui a de gros problèmes de vue) , ceux et celles  qui regardent désemparés le tas de documents ne sachant lequel choisir parce que à priori ce ne sont pas des magazines pour lui ou elle, ceux ou celles qui n’osent pas découper parce que « ça se fait pas Madame », d’autres au contraire n’hésitent pas à arracher des pages entières. Ce temps reste pour autant un moment de calme (nous mettons de la musique), un temps joyeux où chaque élève peut identifier ce qu’il aime. Pour d’autres, l’exercice reste plus difficile même à ce stade : ce sont souvent ceux qui ont plus de mal à identifier ce qu’ils aiment ou ceux qui ont une plus faible estime de soi.

Pour cette étape, il est également possible de leur demander de chercher des images sur le web et les imprimer. On peut réaliser un vison board numérique sur un traitement de texte (libre office draw par exemple) ou une plateforme de conception graphique comme Canva. Mais vous aurez compris que ce choix n’a absolument pas ma faveur pour cet exercice.

En fin de séance nous demandons à chaque élève de ranger tout ce qu’ils ont découpé dans une enveloppe à leur nom. Certains en ont 30 ou 40, d’autres à peine 5.

Étape 4 :

Il s’agit ici de la 2e séance. Il s’agit d’une séance où les élèves vont disposer leurs images sur leur feuille et commencer à coller. Nous leur conseillons d’attendre avant de coller et plutôt de commencer à disposer les différents éléments sur leur feuille. Jusqu’à présent nous demandions à ce que toute la feuille soit rempli, sans plus aucun espace blanc. Seuls quelques élèves n’y parvenaient pas par manque de temps et d’images le plus souvent. Cette année, une élève a choisi de disposer ses images de manière très ordonnées, les images découpés en carrées ou rectangles de taille identique et disposées les unes à côté des autres en laissant du blanc. Nous avons bien entendu respecté ce choix révélateur aussi de sa personnalité. Et au final je pense que désormais je laisserai le choix en effet de coller les images comme chacun le souhaite. Proposer qu’il ne reste pas de blanc était un moyen de s’assurer que les élèves allaient vraiment au bout de leurs envies et ne se contentaient pas de quelques images.

 Ce premier travail de mise en forme avancé, nous autorisons à compléter le découpage si nécessaire, si besoin. Pour certains les 2 heures n’ont pas suffi pour remplir la feuille. Ces élèves là (très peu nombreux) ont du mal à se projeter dans cet exercice où on leur demande de repérer ce qu’ils aiment ou ce qu’ils trouvent beau. Ils restent focaliser sur ce qu’ils veulent trouver « à priori » et cherchent coute que coute, et en y passant énormément de temps parfois vain, une image de cheval, de moto ou de console XYZ. Nous leur répétons inlassablement de ne pas se mettre de filtre et ne pas trop réfléchir, mais d’observer, de feuilleter et de glaner au hasard des pages sans se retenir, ni choisir en amont de ce dont ils auront besoin. 

Nous avons remarqué que peu d’élèves ont choisi de mettre du texte et des mots. Pour autant il est tout à fait possible d’écrire, de dessiner pourquoi pas. 

Étape 5 : 

C’est la 3e séance (parfois la 4e si les élèves ont réellement besoin de compléter leur vision board). Nous exposons tous les tableaux au CDI ou les disposons sur des tables. Devant chaque tableau un document sera complété par l’ensemble des élèves. Il s’agit d’un document en 2 colonnes : à quel métier, activité professionnelle vous fait penser ce tableau. Et 2e colonne : quelles valeurs, quelles émotions se dégagent de ce tableau. En ce qui concerne les métiers, c’est souvent très facile, nous participons à cette activité, tout comme nous avons participé aux activités précédentes afin de compléter et d’ouvrir les perspectives. Les élèves ont à leur disposition un document avec du vocabulaire concernant les valeurs et émotions et ils nous sollicitent parfois pour la compréhension de certains termes.

A la fin de la séance, chaque élève récupère la feuille correspondant à son tableau et découvre ainsi une liste de métiers et une liste de valeurs. Les élèves nous font part de leur étonnement, satisfaction et là encore nous prenons le temps d’expliciter le vocabulaire lorsque c’est nécessaire.

Étape 6 : 

Nous demandons à chaque élève de choisir le métier dans sa liste qui le surprend, qu’il ne connait pas ou auquel il n’avait jamais pensé pour lui. Les élèves font alors une recherche via le site de l’ONISEP en relevant les avantages et inconvénients du métier, les qualités qu’il faut pour faire ce métier. Cette partie du travail peut se faire sur une séance de recherche documentaire mais nous avons vu tout l’intérêt d’y consacrer plus de temps (2 ou 3 séances) afin que les élèves puissent créer à partir de leurs recherches soit une vidéo, soit une affiche, soit un podcast.

Étape 7 :

Il s’agit de mettre en lien le vision board avec des actions concrètes.

On peut s’appuyer sur les questions proposées par Sylvie Colin dans cette vidéo.

1. Quelles compétences dois-je développer pour me rapprocher de ce métier ? Quels sont les talents que je pourrais exploiter ?

2. Quels sont les plus gros défis qui se présenteront à moi et en quoi me feront-ils grandir au cours de la poursuite de mes rêves ? 

3. Quand les choses deviendront difficiles et que je rencontrerai des obstacles, quels efforts devront être déployés et comment réagirai-je ? 

4. Qu’est-ce que j’attends de la part de mon entourage, amis, famille et enseignants (feedback, encouragement, mises en garde…) ?

5. Qu’est-ce que j’ai appris de mes échecs et erreurs passés ? Qu’est-ce que je peux faire différemment cette fois ?

Vision Board - grand

Un vision board et ensuite ?

Il peut être nécessaire de réactiver le tableau régulièrement dans l’année ou encore de le refaire d’une année sur l’autre. Il peut alors être un outil pour la vie de classe, pour la connaissance de soi et le développement de compétences psycho-sociales.

Je ne l’ai jamais fait, mais en écrivant ce texte, je me demande s’il ne serait pas possible d’envisager de faire réfléchir toute une classe aux objectifs que les élèves souhaitent fixer pour une nouvelle année scolaire en créant un tableau de visualisation collectif. On demande alors aux élèves d’échanger collectivement pour déterminer les objectifs de classe à fixer pour bien vivre ensemble. (Edit : nous allons le faire dans deux classes pour cette rentrée).