C & F Éditions

Sans doute plus que tout autre service, le lancement de YouTube au milieu des années 2000 a ravivé l'utopie d'un internet « ouvert » et « participatif ». Après un siècle de domination « sans partage » des médias de masse, chacun allait désormais pouvoir se libérer de l'emprise des chaînes de télévision et du carcan de la programmation, pour mettre en ligne ses propres vidéos et les rendre accessibles à tout moment au monde entier. Près de quinze années plus tard, le rêve paraît s'être réalisé. Des milliers de vidéastes ont concouru au succès d'une plateforme à laquelle des milliards d'individus se connectent tout autour de la planète, pour consulter mais aussi échanger autour de vidéos.

Dans le même temps, la situation s'est largement complexifiée. Très tôt, la plateforme s'est ouverte non seulement aux amateurs, au double sens de créateurs non professionnels et d'internautes attirés par un sujet qui les passionne, mais aussi aux entreprises : entreprises des industries audiovisuelles trouvant un nouveau canal pour écouler leurs productions, et entreprises de tous secteurs désireuses d'assurer la promotion de leurs biens et services via la publicité en ligne. Les logiques économiques du monde prénumérique sont ainsi rapidement réapparues, à commencer par les droits de propriété intellectuelle dans le cas des clips musicaux, vidéos les plus consultées sur YouTube. Ces logiques ont dû être progressivement intégrées par la firme ayant repris les rênes de la plateforme : Google. Néanmoins, entreprise comptant au rang des puissantes GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) régnant sur l'Internet, elle a aussi su inventer et imposer, en complément au partage des vidéos, de nouvelles formes de « partage de la valeur ».

En ce début de décennie 2020, YouTube est ainsi devenu un espace protéiforme : les vidéos sont de nature très disparate tout en connaissant un processus de standardisation; les profils des producteurs de vidéos sont tout aussi diversifiés voire hybrides, de la multinationale des industries culturelles et médiatiques au vidéaste en herbe en passant par quantité de pro-ams. Les internautes s'engagent pour certains avec une grande intensité dans les commentaires alors que quantité d'autres se contentent d'y jeter un oeil. Nous proposons, avec le présent ouvrage, de faire un point sur cette configuration actuelle de la plateforme en multipliant les angles d'approche, avant de voir plus spécifiquement quelles opportunités et contraintes en surgissent pour les capacités d'expression, par et autour des vidéos en ligne.