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Le souffle de la liberté 1944 : le jazz débarque

par Nicolas Beniès

 
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Écouter Sim Copans raconter le débarquement du jazz
 
 

Sim Copans vous parle

Cette page est composée d'extraits du livre de Nicolas Béniès Le souffle de la liberté : 1944, le jazz débarque. Les documents sonores reprennent une interview de Sim Copans réalisée en 1994 par Nicolas Beniès et Joël Letensorer pour la radio TSF 98. ( Revenir à la présentation du livre)

En mai 1944 l'armée américaine engage, avec le grade de capitaine, Simon Copans qui parle français, qui a fait sa thèse sur la critique de Pascal par Voltaire et des études en France juste avant la guerre. Il me dira « vous savez, Nicolas, je n'ai jamais porté l'uniforme » et il me le dira plusieurs fois de peur que je ne l'oublie lorsque je l'ai rencontré en 1994 pour préparer le cinquantième anniversaire du débarquement. Il me fera le plaisir, malgré son grand âge, de venir à Caen pour participer à l'émission en direct que nous avions, Joël Letensorer et moi, réalisée ce 6 juin 1994.

Sim Copans raconte son débarquement

Sim Copans sera nommé au quartier général de ABSIE, American Broadcasting System In Europe, dont dépendait La Voix de l'Amérique, créée deux ans auparavant. André Breton, dira-t-il dans cette interview, a également travaillé pour cette radio. Il parle du « grand tournant » de 1944. Il a décidé d'aller à Londres pour participer à la lutte contre le fascisme, avec le grade de capitaine dans l'armée. « Je n'avais pas le droit de porter les armes car je faisais partie de la psychological warfare, de la Troisième Armée. J'ai débarqué en Normandie où on m'a donné un camion équipé d'un studio et de haut-parleurs. »

Sim Copans auprès de son camion sonorisé, 1944

Sim me racontera, par écrit, son débarquement : « En juin 1944, je suis descendu à pied du navire sur Omaha Beach. Attaché à la Première Armée, je devais effectuer un travail d'homme de radio auprès de la population des villes et villages libérés. Les Allemands avaient confisqué tous les postes de radio et il était important de diffuser des nouvelles à ceux qui en étaient privés. Pendant de nombreuses semaines, dans mon camion sonorisé, une sorte de studio improvisé, je diffusais sur les places publiques des bulletins d'information avec un peu de musique. Les nouvelles, pendant longtemps, n'étaient pas bonnes. Mais quelle joie quand je pouvais annoncer le 9 juillet, la libération de La Haye du Puits et Caen. Bien entendu, je faisais entendre La Marseillaise. à partir du 6 juillet, je distribuais à des milliers de personnes chaque jour le nouveau journal de Cherbourg : La Presse Cherbourgeoise, fièrement sous-titré « Premier Quotidien de la France libérée ». J'ai voyagé des milliers de kilomètres sur les routes de Normandie dans mon camion que les habitants des villes et villages libérés appelaient « la radio » ; j'ai apporté les nouvelles dans plus de cinquante villes et villages, de Valognes à Coutances en passant par Barneville, Carentan, La Haye du Puits et Saint-Lô, ville martyre, avant d'avoir la grande joie d'arriver à Paris le 25 août. »

Sim Copans est arrivé à Paris le jour même de sa Libération. Il a participé à cette la liesse qui a suivi cette libération.

Sim Copans parle de son travail de radio à son arrivée à Paris

En tant que radio officer, Sim a fait partie du premier noyau de l'US Intelligence Agency. Ici, il faut prendre Intelligence dans le sens anglais, renseignements, espionnage. Pour lui, cette « Intelligence » le situait dans la « propagande », la radio.

Georges Perec et lui seul car Sim est le grand oublié de toutes les éditions du Dictionnaire du jazz dans son livre Je me souviens faisait en quelques mots une place à Sim Copans : « Je me souviens des émissions de Sim Copans ». Perec s'instituait ainsi comme le représentant de toute sa génération et de celle qui a suivi. Sim nous a fait découvrir le jazz, le gospel, le blues par l'intermédiaire de cette voix à l'accent indéfinissable, douce comme le cours d'une rivière juste avant les chutes, mélodieuse comme une chanson dont on aurait oublié l'air. Mais pas les paroles.

Georges Perec, dans un entretien réalisé par Philippe Carles et Francis Marmande pour Jazz magazine30 rajoutera : « Pour moi Sim Copans c'était l'homme qui connaissait le jazz, qui faisait écouter Clifford Brown, Lester Young, Charlie Parker. De plus, c'était l'anti-Panassié. »

Lorsque j'ai rencontré Sim Copans en ce mois de mars 1994, par l'intermédiaire de Henri Renaud grand pianiste un peu oublié et producteur méticuleux et précieux, la vieillesse n'avait pas altéré l'enthousiasme et la passion pour cette musique étrange, le jazz, qui ne supporte pas la tiédeur.

Comment, la question brûle les lèvres, est-il devenu un homme de radio ? « Au début, mon rôle était d'entretenir les relations avec la radio française. À la fin de 1944, j'ai négocié un échange [...] La Voix de l'Amérique a proposé le marché suivant : sur ses émetteurs parisiens, les Américains diffuseraient une émission culturelle et, en échange, les professionnels français présenteraient des informations diffusées dans le monde, et notamment en Algérie. » La Voix de l'Amérique avait élu domicile 11bis rue Christophe Colomb difficile de l'oublier un local fourni par la radio française après la Libération de Paris. Les forces armées américaines y avaient construit un studio moderne « nommé Roosevelt par le ministre français ».

Sur la discothèque de La voix de l'amérique

À l'époque, poursuit Sim, la radio passe de la variété, de la country mais pas de jazz. Ils obtiendront cependant l'autorisation d'enregistrer des concerts de jazz qui seront utilisés, dès cette époque, par la radio française. Notamment un concert de Duke Ellington qui sera, pour Sim, l'occasion de sa première rencontre avec Hughes Panassié. Si j'en crois ses mimiques, elle n'a pas dû lui laisser un bon souvenir. Les deux hommes n'avaient pas grand-chose en commun.

Sim fut également universitaire, promoteur des études américaines en France, auteur d'ouvrages pour faire connaître la culture américaine notamment les « folks songs », les chants de résistance. Mais il restera surtout, surtout, homme de radio. De 1946 à 1973, il a animé sur les ondes nationales françaises plus de 4000 émissions. Il me dira pourtant qu'il est devenu homme de radio par hasard, ou plutôt par un concours où les circonstances ont gagné.

« Lorsque l'American Forces Network la radio des forces armées américaines a décidé de suspendre ses émissions le 31 décembre 1946 à minuit, j'ai suggéré que son émetteur soit vendu à la France. » Et la première émission fut confiée à Sim Copans. Panorama du jazz américain débuta alors son parcours sur les antennes de la radio nationale.

Le passage à la radio française et l'émission Panorama du jazz

Il ajoutera dans l'entretien qu'il m'avait accordé, que Bravig Imbs qui fut le fondateur de ces émissions, avec un mélange de jazz, de folk et de leçon de français pour Américains comme de cet anglais spécifique pour les Français, s'était tué dans un accident de Jeep en 1946. Une circonstance supplémentaire, malheureuse, qui lui a permis de devenir l'homme de radio que l'on connaît. Bizarreries de cette époque de basculement. Il ajoutera que, après cette mort, il n'y avait plus d'émissions régulières de jazz sur la radio française.

Le 29 mai 1948 - il en avait conservé les traces écrites - il consacrera une émission sur « La chaîne nationale » au deuxième anniversaire de la mort de Bravig Imbs. Il le présentait ainsi « Des millions d'auditeurs français dont il était l'ami connaissaient la voix de Bravig Imbs, qui, depuis septembre 1944, avait présenté avec simplicité, beaucoup de talent et beaucoup d'affection des leçons d'anglais et de musique américaine. Bravig, comme professeur d'anglais, s'appelait Monsieur Peter : il avait pris le nom de son petit garçon pour faire ces leçons délicieuses qu'on écoutait en souriant ; et on apprenait quand même un peu d'anglais. Bravig Imbs, Américain du Middle-West, prenait le plus grand plaisir à présenter toutes les richesses du folklore américain. Bravig aimait sans réserve la France et il voulait à tout prix que la France comprenne son pays à travers son folklore. »

En 1947, Sim présentait donc une émission hebdomadaire d'une heure. Une émission qui lui a demandé du travail : il était loin d'être un spécialiste de jazz. Chercheur universitaire, il a pris cette musique au sérieux. Et a fini par être passionné de jazz. « Le jazz est une des choses qui a le plus compté dans ma vie » me dira-t-il.

Les concerts de jazz après guerre

Dans le même temps, c'est aussi, de la part des responsables de la radio française, la reconnaissance que le jazz s'est installé, qu'il représente dorénavant un aspect de la culture française. Il nous reste, du coup des traces du Troisième Festival international de jazz qui se tient à Paris, organisé par Charles Delaunay, début mai 1949. La retransmission du concert de Miles Davis, commenté par Maurice Cullaz, tombé très tôt dans le jazz mais qui se refusera pour des raisons idéologiques à aller aux États-Unis, est introduite par un commentateur qui semble sorti tout droit des humoristes de tous les temps.

Sim parlera de tous les aspects de la musique américaine dans ses émissions. « Bing » Crosby y aura droit de cité comme Frank Sinatra ; les comédies musicales autant que les jeunes collectionneurs passionnés de cette musique, à commencer par Daniel Filipacchi, Jean-Christophe Averty, Dave Pochonet. Il accueillera aussi les musiciens français dans ses émissions. Il me dira : « Très tôt j'ai offert l'hospitalité du Panorama du jazz aux musiciens français qui venaient présenter des disques de leur musicien américain préféré et, souvent, leurs propres enregistrements. Je suis très fier de la liste assez longue de ceux que j'ai reçus dans le studio Franklin D. Roosevelt, rue Christophe Colomb. »

La place du jazz français dans les émissions de Sim Copans

Au début des années cinquante c'est la période du maccarthysme, de la chasse aux sorcières aux États-Unis avec des répercussions dans toutes les branches susceptibles d'abriter des « traîtres ». Sim fait l'objet d'une enquête de la commission des activités anti-américaines. Il a une réputation de « french lover » dans le sens d'amoureux de la France et non pas de « beau gosse » qui fait tomber toutes les filles et c'est mal vu à Washington. Il fait l'objet d'une enquête. Il démissionne alors de La Voix de l'Amérique mais la radio française lui demande de poursuivre ses émissions en France. Il change les titres. Le Negro-Spiritual devient Deep River un meilleur titre à mon avis et Panorama du jazz, Le jazz en liberté.

Le jazz après la Libération et l'importance des disques